GENINHO s’en est allé début novembre. Je n’ai à ce moment là, pas pu savoir précisément quelle est la cause de son décès. Est-il mort en solitaire ou entouré des siens? Je sais juste que je ne le reverrai plus le jour de marché à Armação de Pêra. Et je me demande qui va dorénavant s’occuper de sa fidèle chienne, Katia. Mais plus encore, qui, à Armação de Pêra, remplacera dorénavant celui que j’aimais appeler « Le beau vieux loup de mer »?
Sans doute personne. Cet homme qui m’a de suite semblé unique. UNIQUE et facilement repérable dans cette petite ville bourrée de touristes aux beaux mois d’été mais, n’appartenant plus qu’à elle même et quelques autochtones, dès que le vent souffle un peu trop fort. Oui, il est clair qu’ Armação de Pêra n’oubliera pas de si tôt « son » Geninho ».
Connu comme le loup blanc, cet homme a accepté que je l’invite à la table où je buvais un café avec Luis, l’ami franco-portugais qui allait me faciliter la tâche en acceptant de traduire ce que je ne parvenais pas à bien comprendre dans les paroles prononcées par Geninho. En soi, la langue est déjà difficile, mais je ne vous cache pas que cela se corse lorsque vous entamez la discussion avec un vieil homme, un peu édenté et parlant encore plus vite que la normale des gens d’ici. Cette photo d’amorce est un souvenir de la première fois où nous nous sommes posés pour échanger. J’ai offert un café et je me suis mise en devoir de lui expliquer que je le regardais déambuler dans cette petite ville depuis très longtemps déjà, que je voulais faire un article sur lui pour mon blog…. Je lui ai raconté que je venais de Belgique, journaliste à la retraite mais toujours dans le cœur et le tête surtout pour des rencontres comme celles-ci, que j’étais arrivée à Lagoa depuis juin mais surtout que je voulais vivre ici définitivement. Tout cela dans mes débuts d’apprentissage de la langue portugaise. Le contact est très bien passé et de suite, il a dit OUI!
Ses yeux ont pétillé et je n’exagère pas quand je vous raconte qu’il ade suite pris la pose. Comme si il avait fait cela toute sa vie. Il aimait jouer un peu à la vedette, et moi j’aimais lui faire plaisir. Il est vrai aussi qu’un jour Geninho a eu son petit moment de gloire en devenant le personnage principal d’un reportage télévisé et de plusieurs articles dans la presse locale et régionale. Et qui pourrait lui en vouloir si, à cet âge là, on ne peut pas se faire encore un peu plaisir en prenant la pose, hein qui???
C ‘est d’ailleurs sur les murs d’Armação de Pêra que je l’avais repéré la toute toute première fois. Avec sa « belle gueule » parmi toutes celles photographiées par Christine Baumkirel Miguel. Impossible de louper ces tableaux gigantesques et parmi toutes les photos c’est celle de Geninho qui m’a de suite marquée. Allez savoir pourquoi? En juin dernier déjà, je me disais: » Celui- là, il faut que je le rencontre, coûte que coûte ». Des images renforcées aussi par les mots et le poème choisis par les auteurs de cette fresque colorée et baptisée à juste titre: « Lobos do Mar » . « Les loups de Mer » à qui Armação de Pêra a voulu, un jour, rendre hommage. Et le badaud ne sait pas ce qu’il rate en passant devant ces murs, sans même y accorder un regard! Il y a tellement de beauté dans ces visages éprouvés par les ans et la vie en mer que chacun, à sa manière, nous raconte sa propre histoire.
Moi, c’est l’histoire de Geninho que je voulais et lorsque j’ai plongé mon regard dans le sien, j’ai compris que j’avais en face de moi, une « Belle personne » dont je vais maintenant vous partager la rencontre.
Après avoir bu notre premier café, je lui ai demandé pour l’accompagner sur le marché local. Là, les étals regorgent chaque samedi de produits plus frais les uns que les autres et dans la hall aux poissons, Geninho reçoit sans même demander.
Après le marché, nous avons décidé d’aller nous asseoir à la plage. Nous avons récupéré Katia au passage qui attendait patiemment le retour de son ami et sommes partis vers l’Océan en croisant des gens qui le reconnaissaient et échangeaient avec lui sur le temps, la vie au village, le départ de l’un, l’arrivée pour les vacances d’un autre. Quand je vous disais qu’il était connu par tous et de tous. Et toujours ce sourire et ce partage de mots gentils et bienveillants. Je lui ai aussi expliqué que j’aimerais le revoir dans quelques jours pour prendre le temps d’autres photos, face à la mer par exemple, ou sur son bateau, pourquoi pas? Est -ce que le jeudi 30 septembre, ca irait?
-« Oui pour se revoir mais non pour le bateau ! Me lance t-il d’un coup. Parce qu’il n’y a plus de bateau. Tout simplement. Cela fait des années maintenant que je n’ai plus navigué. Mon bateau, je l’ai donné à mes enfants et mes petits-enfants qui parfois l’utilisent encore pour une promenade en mer en fin de semaine. Mais pour moi, c’est fini. «
Voilà comment le jeudi 30 septembre, alors que je craignais que Geninho ne me fasse faux bond, nous avons repartagé des cafés et rediscuté de comment va le monde. Et c’est ce jour là que j’en ai appris un peu plus sur sa vie. Dans le désordre et au gré de ses souvenirs plus que de mes questions : deux mariages, des enfants et des petits -enfants mais aujourd’hui, « la vie en couple c’est fini et bien fini » me lance t-il avec un regard malicieux !
– » Le passé ça sert à rien me lance t-il tout de go. Beaucoup de gens vivent dans leur passé et c’est terrible. »
-« Mais toi Geninho comment occupes tu tes journées alors? »
–« Moi? C’est simple, je me lève et je me couche souvent avec le soleil. La journée, je vais nager, je lis, je marche beaucoup et je joue avec Katia sur la plage. Katia et d’autres chiens aussi. J’ai appris à aimer les animaux et à vivre au rythme de la mer, de la nature, du soleil. Je vis aussi pour que Katia ( sa chienne) soit bien. Les trois autres chiens que j’accueille en journée repartent le soir. Et là, c’est Katia qui veille sur moi quand je dors !
Ce fils de pêcheur me confiera aussi que ses parents étaient tristes de ne pas savoir écrire et que le fait de le voir, lui Geninho aller à l’école, les rassurait pour son avenir. Mais cet amoureux de la Liberté sous toutes ses formes n’avait pas de projet de carrière en tête.
– » J’ai aussi été ferrailleur et j’ai osé plusieurs expériences de vie. Je ne suis venu à la mer comme pêcheur que les 15 dernières années de ma vie professionnelle ».
Il avait donc 58 ans. C’est un peu tard en fait pour commencer ce métier dur et éprouvant. Mais visiblement et malgré les risques et les difficultés financières, il a terminé pêcheur à Armação de Pêra avec quelques autres.
-« A l’époque, on pensait souvent aux risques de l’accident en mer. On n’avait qu’un petit bateau à rames et on n’était jamais sur de revenir mais j’ai aimé ce métier. Et aujourd’hui ,je me dis en regardant l’océan, qu’il n’y a plus que quelques années pour les pêcheurs actuels encore en exercice. Car bientôt les entreprises de pêche avec leurs usines volantes auront ratissé tout et il n’y aura plus de poisson pour les petits comme nous.
Et si on parle finances? Il me regarde droit dans les yeux et me balance que la manière dont les pêcheurs sont rétribués n’est pas normale.
– » C’est bien pour cela que parfois, on vendait en cachette une partie de notre pêche car quand on pêche sous licence, on gagne à peine 30% des ventes. A La criée, ils doivent encore donner 20 % à l’Etat de la recette de la journée. Il ne reste plus grand chose pour un métier aussi dangereux et contraignant, non? J’ai travaillé toute ma vie et je gagne 300 euros de pension par mois. »
Il reste encore une vingtaine de bateaux de pêche dans cette station devenue « balnéaire » début des années 60. Ce nom s’explique entre autre par le fait qu’il s’agissait là du lieu où les pêcheurs du village de Pêra (situé dans l’arrière-pays) montaient leur « armação » leur attirail, leur matériel de pêche pour capturer le thon, entre autre. Le thon mais aussi la sardine qui y vivaient en abondance et qui, une fois pêchés étaient salés avant d’être expédies à la vente vers l’intérieur du pays.
Aujourd’hui, cette station vit surtout du tourisme, attiré par la beauté de sa plage et de ses golfes, ses falaises et sa douceur de vivre. Mais les pêcheurs la considèrent toujours comme LEUR plage. J’aime beaucoup aller me promener du coté de Praia des Pescadores et là, humer l’ambiance qui y règne, voir l’Océan agité parfois, calme une grande partie de l’année. Et y rester indéfiniment.
Nous avions Geninho et moi prévus de nous revoir une troisième fois, le dimanche 03 Octobre à 08h du matin. A la plage des Pescadores justement, pour prendre des photos en bord de mer et je lui avais proposé aussi de partager un repas de sardines grillées sur la plage à l’abri des regards et avec nos chiens respectifs.
Cela ne se fera jamais. Ce jour là, j’ai attendu plus d’une heure en scrutant la plage, et les rues. Le temps était maussade pour l’Algarve et l’Océan ne semblait pas content de son sort. Les mouettes me lançaient des » Bonjour » mais allez savoir pourquoi , le cœur n’y était pas ! J’ai attendu plus d’une heure, m’inquiétant auprès de personnes qui le connaissaient bien:
– » Ah Geninho, mais peut-être que c’est début de mois et qu’il a fait la fête hier? En tout cas je l’ai pas vu depuis quelques jours déjà... »
–« Geninho? Non pas vu depuis un petit temps… »
Geninho n’est pas venu. Je me suis consolée ce jour là en me disant que les Hommes de cette trempe là sont des hommes libres, à jamais. J’ai laissé à un de ses copains qui travaille dan sun café du coin la même photo de nous deux qui débute cet article. je ne sais pas si il l’a reçue.
Je viens d’apprendre, il y a deux jours par le patron du café où nous nous sommes rencontrés vraiment la première fois, que c’est un cancer qui l’a emporté. Visiblement ce fut un choc pour tout le monde. Même si je ne le connaissais que depuis si peu de temps, je me suis sentie profondément triste et c’est encore le cas aujourd’hui. Jamais je ne pourrai lui offrir le livre acheté pour lui » Les Maia » d’Eça de Queroz, les Cd de Mozart rapportés spécialement pour lui aussi lors de mon dernier retour de Belgique et je ne boirai plus de café en sa compagnie.
A cet Homme, qui aimait écouter la musique classique, ( tout en buvant me disait il un bon verre de vin ) qui aimait lire des romans (ceux de Jose Saramago, journaliste et écrivain Portugais et l’unique auteur lusophone à avoir reçu le prix Nobel de littérature, en 1998) et surtout s’asseoir et regarder l’Océan,
A cet Homme qui m’avouait n’avoir jamais cru un seul instant l’on avait marché sur la Lune et que le Covid c’était une histoire bien trop compliquée que pour y voir clair (d’ailleurs il refusait le vaccin) ,
A cet Homme qui me disait ne pas croire en un Dieu en particulier mais bien en une force spirituelle plus grande que tout,
A cet Homme qui m’a fait le cadeau de la phrase suivante : » La vie d’un Homme c’est comme un amandier. ( Symbole de l’Algarve) Il est en fleur et c’est nous à 20 ans. Et puis quand l’amande tombe sur le sol, c’est la mort. Mais c’est aussi la trace d’une vie accomplie ».
A cet Homme là , j’envoie où qu’il soit, un immense MERCI pour les moments partagés , les moments d’un Vieux loup de Mer comme je vous souhaite d’en rencontrer.
OBRIGADA GENINHO!
Félicitations .Ton article est complètement empreint de ton amour pour le Portugal et les personnes .
Très touchant.
J aime ta façon d’écrire
Félicitations.
Un jour tu raconteras l histoire d une petite immigrante…moi mon histoire…
Bravo Sonia pour ce très joli témoignage sur Geninho. Je l’ai aussi peu connu mais beaucoup apprécié.
Luis, le traducteur