Moi, c’est au départ de Lagoa.
J’avais rendez- vous ce mercredi au café l’Orquidea, dans l’une des rues commerçantes de Lagoa avec la patronne, rencontrée un peu à la va-vite le dimanche précédent. Il n’y a pas de hasard, je crois. Juste des gens appelés à se rencontrer, s’écouter, faire un bout de chemin ensemble parfois, et plus si affinités.
Dans ce cas çi, tout s’est décidé dans ma tête le dimanche 27 février, alors que nous étions venues boire un café avec mon amie Anne Marie. J’ai décidé ce jour-là, de donner la parole à cette femme. Elle portait un beau masque blanc avec des arabesques mais ses yeux, ses yeux étaient si tristes. C’est là je crois que j’ai vraiment compris ce qui arrivait à l’Ukraine. Alors que la Russie venait de lancer son offensive dans la nuit du 23 au 24 février, j’ai ressenti la peur de cette femme. Un jour juste avant que Poutine n’envoie ses troupes aux portes de la ville ukrainienne de Kherson, dans le sud du pays, au nord de la Crimée.
Je comprenais dans les yeux de cette femme à quel point nous en étions. Enfin, surtout le peuple Ukrainien car nous ici, on est privilégiés. J’ai bu mon café en extrême vitesse, lui promettant de revenir pour faire son interview. Domka, c’est son prénom, a de suite accepté tout en accueillant les premiers clients ce dimanche là.
Je suis revenue vers elle ce mercredi. Les bombes se sont abattues sur quelques villes d’Ukraine, Kiev tient toujours à l’heure où j’écris mon texte. Le Président Volodymyr Zelensky, élu au suffrage universel depuis mai 2019 semble plus fort qu’on n’aurait pu le croire et le peuple ukrainien veut sa liberté. « Força » c’est un mot qui revient sur les lèvres de celles et ceux que j’ai rencontrés. Força c’est aussi une expression bien portugaise !
Repartir là-bas ? Non, c’est trop tard et ma vie est ici. Mais…
Domka, arrivée ici suite à des soucis de santé, considère aujourd’hui le Portugal comme SON pays. Elle ne retournera pas là-bas. Sa vie est içi et donc logiquement selon elle, le combat pour son pays d’origine, c’est d’içi qu’elle le mènera. Ses yeux sont toujours aussi tristes mais cette flamme de liberté, cette volonté farouche d’en découdre sont restées intactes. Et pourtant. Nous sommes aujourd’hui dans l’escalade vertigineuse, une danse de diables menée par « un petit Hitler » comme j’aime à, le surnommer. Un « mioche » que l’Europe a mal géré depuis 2014. Aujourd’hui, elle se réveille avec face à elle, un grand adolescent mal cadré, mal fagoté, imbu de lui-même et si peu respectueux des autres. Le mal est fait et ce depuis 2014, si pas avant. Les réveils sont parfois prometteurs de matins turbulents. Mais les Ukrainiens sont tenaces. Ce pays, le plus grand au niveau territoire de l’Europe, ne flanchera pas. C ‘est en tout cas ce qu’il veut. Qui pourrait lui en vouloir? Ce peuple veut garder sa liberté , son désir d’indépendance gagné en 1991 et les Portugais bien décidés à les aider sont prêts à les soutenir. , Oui mais quand et surtout comment ?
Un grand besoin de solidarité avant tout.
Lorsque j’arrive à notre rendez vous ce mercredi, Domka a demandé à sa fille, Galyna et son beau- fils de venir pour l’entrevue. Elle se sent entourée et je peux la comprendre. Plusieurs clientes portugaises sont déjà attablées devant leur Bicca ou infusion d’hibiscus. En arrière-plan , la TV ne cesse de diffuser des images de la situation en Ukraine. Domka s’active tout en me proposant un café que j’accepte avec joie avant de prendre quelques photos en ayant au préalable demandé l’autorisation aux clientes bien coiffées, sans doute pour l’occasion. Je suppose qu’ici aussi le tam- tam fonctionne. Et même si je ne suis pas journaliste attitré à tel ou tel média, elles sont contentes de savoir qu’elles vont se retrouver sur mon blog. Car Domka leur a fait part de mon travail et elles trouvent que c’est une bonne idée. Galyna, la fille de Domka est sur son gsm mais me fait signe qu’elle va avoir fini et nous pouvons commencer l’entrevue car sa maman elle, doit s’occuper du café.
Galyna parle la langue portugaise avec une facilité incroyable. Moi, je bafouille encore mais nous finissons par bien nous comprendre. Elle m’explique que, comme sa maman elle est venue ici suite à des soucis de santé. Elle travaillait au café avant et puis sa santé s’est dégradée. Sa fille, Alexandra, a aujourd’hui 4 ans et pour elle aussi son pays c’est le Portugal ! Galyna me montre une photo de la petite blondinette ; elle a une jolie robe et le drapeau ukrainien dessiné sur les deux joues. Le reste du temps, son gsm lui permettra de m’expliquer, images et vidéos à l’appui, comment cela se passe là-bas dans la région de Livov (LVIV) où sont toujours ses sœurs, amis et belle famille.
-« La zone n’est pas encore trop dangereuse, me dit- elle, mais quand même …car cette ville est devenue le point de passage obligé de mes compatriotes pour franchir la frontière d’avec la Pologne qui est à une septantaine de kilomètres. Moi, j’ai peur quand meme pour tous ces gens qui veulent quitter le pays et aussi pour ma famille, mes deux sœurs, leurs maris, les enfants, les amis et aussi ma belle- famille qui eux ont décidé de rester sur place. Car c’est leur pays ! Je peux aussi les comprendre. Mais j’ai peur que les bombes russes ne leur tombent dessus. Poutine est si … »
Je n’ai pas besoin d’attendre la suite. Son regard en dit assez long sur le despote de la Russie.
-« Bien sûr que tout a commencé en 2014, ajoute-t-elle. C’est à ce moment-là que l’Ukraine a été mise en danger. Aujourd’hui, je sais que les soldats de Biélorussie, pourtant pro russe, retirent leurs vestes militaires et disent ne pas vouloir combattre les Ukrainiens. Je sais aussi que nous sommes aidés par des acteurs du monde informatique qui vont jouer leurs roles de hackeurs mais il n’empêche que la situation est très grave pour le peuple Ukrainien. Heureusement, notre président résiste, c’est un homme qui se bat avec son peuple et à ses côtés. Je suis fière de voir que le peuple résiste, qu’il fabrique ses cocktails molotov, que les civils prennent les armes. Mais oui, j’ai très peur ! »
« Nos vamos gagnar ! »
Lorsque je lui demande si elle trouve utile de faire parvenir des armes à L’Ukraine, elle semble un peu embarrassée par ma question.
« Le peuple d’Ukraine a surtout besoin de solidarité. Ils ont besoin de vêtements chauds, de gants, de sous -vêtements thermiques car là-bas, il neige et il fait très froid. Nous ne pouvons pas ne pas trembler pour eux. Ce qui se passe là-bas est incroyable. Il est fou, complètement. Il veut la mort de l’Ukraine mais « Nos vamos gagnar, Forca ! » me lance- t- elle avec dans son regard, la même détermination que dans les yeux de sa mère.
Son mari, Olexandre nous rejoint et ne reste que très peu de temps. Il doit aller travailler mais surtout je le sens un peu embarrassé par toutes mes questions. Et, lorsque je lui demande pourquoi il ne part pas là-bas au front, comme le font d’autres Ukrainiens vivant en Espagne, Belgique, France et même ici au Portugal.
« -je n’aime pas trop parler de ça, mais je crois que ma place est ici ! Je peux les aider en envoyant de l’argent, des colis, en préparant s’il le faut leur arrivée ici. Mais je ne suis pas bien avec tout cela, j’ai peur pour ma famille restée au pays. Et ma fille, ma femme mon travail c’est ici maintenant. Je ne suis pas certain d’être plus utile là-bas. »
Depuis quelques temps, à la poste de Lagoa comme dans beaucoup d’autres des villes des environs, les Ukrainiens peuvent envoyer leurs colis et réaliser des transferts d’argent via Western Union.
« Cette formule est préférable me dit Galyna, à ces fameux bit coins dont peu de gens savent comment ça fonctionne. Nous, on aide comme on le peut et on agit d’içi ! Et on vaincra. »
Le regard est déterminé, le sourire toujours présent mais je la sens tellement fragile tout en étant, forte et décidée. Cela ne doit vraiment pas être facile d’assister à ce qui se passe dans ce pays qu’elle aime tout autant que le Portugal où elle vit depuis plus de douze ans maintenant.
A suivre : une aide concrète via des organisations bénévoles.
WeHelpUkraine.org. Pour toute proposition d’aide.
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